Revue du Mauss, n” 37, premier semestre 2011, p. 447-475.
Antoine Bevort
Ē Les dfauts de la dmocratie exigent plus
de dmocratie et non pas moins.Č Amartya Sen [2006, p. 45.]
Si de faon gnrale, comme lÕobserve J. Beaudouin, Ē la sociologie politique a mal la dmocratie Č [1998, p. 130], son malaise lÕgard de la dmocratie directe est encore plus manifeste. On considre souvent un peu rapidement que la souverainet populaire lÕathnienne est inapplicable dans nos socits modernes pour des raisons comme la taille ou la complexit des affaires publiques. Ainsi, D. Chagnollaud estime que Ē si ce procd a pu jouer dans la cit grecque antique, force est de constater quÕil nÕest gure praticable lÕchelle dÕun grand pays Č [1993, p. 51]. Aux yeux de M. Hansen, historien danois, spcialiste de la dmocratie athnienne, cet argument trs courant apparat de moins en moins pertinent et Ē revient ignorer que la technique moderne a rendu tout fait possible un retour la dmocratie directe – que ce soit souhaitable ou non est une autre question Č [1993, p. 21]. LÕcho rcent rencontr par les dispositifs participatifs nÕa pas lev les doutes quant lÕintrt de donner aux citoyens, outre le droit de vote, un rel pouvoir de dcision dans les socits contemporaines.
LÕexemple suisse reste ainsi tonnamment peu sollicit dans le contexte dÕun dbat pourtant vif sur la crise politique des dmocraties reprsentatives. Il ne suscite le plus souvent quÕun intrt anecdotique – qui nÕa entendu ou lu de rapides propos moqueurs sur la Landsgemeinde dÕAppenzell Rhodes-Intrieures, rduit une forme dmocratique pittoresque mais sans intrt pour nos complexes socits contemporaines – ou conjoncturel, comme aprs la votation sur les minarets en novembre 2009. Le cas suisse est par exemple absent dans Le nouvel esprit de la dmocratie, Actualit de la dmocratie participative, de Loc Blondiaux [2008]. LÕouvrage de Marie-Hlne Bacqu, Gestion de proximit et dmocratie participative, une perspective comparative [2005], fait cet gard exception, mais le chapitre consacr la Suisse, intitul Ē Ė propos de la dmocratie directe Č, sign par Bernard Voutat, est une des rares contributions trs critiques de lÕouvrage. Ce point de vue sceptique sur le cas suisse illustre le rsultat un peu trange de connaissances et dÕloges plus approfondis sur les budgets participatifs sud-amricains que sur les votations suisses.
Comme lÕindique lÕintrt citoyen pour les votations dont a tmoign, aprs le rfrendum europen de 2005, la votation citoyenne sur la poste en 2009, le systme politique suisse mrite cependant une attention renouvele. En effet, depuis lÕinstitution du rfrendum constitutionnel obligatoire en 1848 et de lÕinitiative populaire en 1891, les votations suisses sont une des manifestations contemporaines de dmocratie directe les plus abouties. Aprs avoir rappel de quelles faons les institutions de la dmocratie directe marquent de leur empreinte le systme politique suisse[1], lÕarticle value lÕimportance et la porte de ces droits, avant de les confronter en conclusion la thorie de la dmocratie consociative dÕA. Lijphart [1977] et de G. Lehmbruch [1993], dont la Suisse reprsente leurs yeux un exemple privilgi.
1. Les Ē droits populaires Č dans le systme politique suisse
Le systme politique suisse peut tre dfini comme une dmocratie semi-directe, un mixte de dmocratie directe et reprsentative dans lequel le peuple participe avec le gouvernement et le Parlement aux prises de dcisions politiques. Avec le fdralisme et la concordance (associe au principe de la collgialit), les institutions de la dmocratie directe sont un des trois piliers du rgime politique suisse.
Le fdralisme, sa caractristique la plus ancienne et probablement la plus connue, remonte lÕanne 1848, quand la Suisse a transform son systme politique en tat fdral. AujourdÕhui, la Suisse est un rgime fdral compos de vingt-cinq cantons, dont le bicamrisme quilibr des chambres Parlementaires est lÕexpression. Reprsentant les cantons, le Conseil des tats compte quarante-six siges rpartis raison de deux siges pour chacun des vingt cantons et d'un sige pour chacun des demi-cantons (Obwald, Nidwald, Ble-Ville, Ble-Campagne, Appenzell Rhodes-Extrieures et Appenzell Rhodes-Intrieures). Ainsi le canton de Zurich, qui compte 1 million d'habitants, lit deux conseillers au Conseil des tats, tout comme Uri qui a moins de 36 000 habitants. Le Conseil national, dont les membres sont lus la reprsentation proportionnelle au prorata du nombre des habitants des circonscriptions cantonales, dispose du mme pouvoir que le Conseil des tats [Kriesi, 1998].
Les deux conseils aux pouvoirs identiques forment lÕAssemble fdrale qui fonctionne selon le principe de la Ē concordance Č, deuxime caractristique essentielle du systme politique suisse. La dmocratie de concordance, Ē notion quivalente, parmi les politologues de langue allemande, celle de dmocratie consociative forge par Lijphart Č [Lehmbruch, 1993, p. 44], renvoie au fait que Ē les dcisions ne se fondent pas sur la rgle de la majorit, mais sur la recherche dÕaccords lÕamiable ou de compromis Č[2]. Les principales forces politiques acceptent gnralement le jeu du compromis plutt que celui de la majorit et de lÕopposition. Il nÕy a donc pas de vritable parti dÕopposition. Ce principe, qui remonte dans sa version contemporaine aux annes 1930, se traduit notamment dans la composition du gouvernement helvtique, nomm le Conseil fdral, comprenant les reprsentants des principaux partis politiques suisses en fonction de leurs nombres dÕlus au Conseil national. La concordance est insparable de lÕesprit de collgialit qui fonde la responsabilit collective de tous les membres du gouvernement qui fonctionne comme un collge solidaire[3].
Les sept membres du gouvernement sont lus par lÕassemble fdrale, runissant les deux chambres, selon une clef de rpartition dite la Ē formule magique Č de 2+2+2+1, instaure en 1959. La clef de rpartition fixe la composition du gouvernement, attribuant deux reprsentants au parti socialiste suisse (PSS), au parti radical socialiste (PRS) et au parti dmocratie chrtien (PDC), et un reprsentant lÕunion dmocratique du centre (UDC). Depuis 2003, la formule magique a t modifie suite lÕaudience lectorale croissante de lÕUDC qui a remplac le PDC comme une des trois grandes forces politiques[4]. Sa double reprsentation au sein de lÕexcutif, acquise en 2003 aux dpens du PDC, a t cependant rduite par la dmission du parti dÕun de ses membres, tout en restant membre du Conseil fdral. Actuellement, le Conseil fdral comprend deux UDC (depuis 2008, 1 + 1 parti bourgeois dmocratique), deux PSS, deux PRD[5], et un PDC. Les membres du Conseil fdral sont lus pour un mandat de quatre ans renouvelable[6]. Le Conseil fdral est assist et conseill dans le droulement de ses affaires par la Chancellerie fdrale. Le Chancelier, galement lu, qui prend part aux runions hebdomadaires du cabinet avec un rle de consultation, est parfois appel de manire officieuse Ē le 8e conseiller Č. La prsidente ou le prsident de la Confdration change chaque anne. Cette fonction ne confre aucun pouvoir ou privilge spcifique, et le prsident ou la prsidente continue d'administrer son propre dpartement.
Les droits populaires
Ē On appelle droits populaires (l'expression n'existe qu'en Suisse), ceux qui, parmi les droits politiques, permettent aux citoyens de participer aux prises de dcision par le biais de votations. Č[7] La pratique des votations citoyennes remonte la Rvolution franaise de 1793. Ē CÕest la procdure dÕadoption de la seconde Constitution helvtique de 1802 qui consacre pour la premire fois sur le sol suisse le principe du scrutin populaire. Č [Micotti, 2003, p. 21] Les premiers rfrendums constitutionnels et lgislatifs apparurent dans divers cantons dans les annes 1830, prpars par la multiplication de ptitions.
Les votations citoyennes suisses se prsentent aujourdÕhui sous trois formes : les rfrendums obligatoires, les rfrendums facultatifs et les initiatives populaires qui se dclinent selon des modalits spcifiques aux niveaux fdral, cantonal et communal. Au niveau fdral, le rfrendum obligatoire, qui existe depuis 1848, concerne toutes les modifications de la Constitution, de mme que lÕadhsion de la Suisse certaines organisations internationales comme lÕOTAN, lÕONU. LÕadoption de telles dispositions requiert la double majorit du peuple et des cantons. Le 27 septembre 2009, la population suisse a ainsi accept deux projets de modification constitutionnelle : le relvement de la TVA en faveur de l'Assurance invalidit (AI) par 54 % des voix et une petite majorit des cantons. Le taux de participation sÕest lev 41 %. La majorit des cantons almaniques se sont montrs hostiles, alors que la Suisse romande a vot unanimement pour le financement additionnel en faveur de l'AI. Les grandes villes ont en gnral t favorables.
Le rfrendum facultatif, instaur en 1874, intervient quand, dans les cent jours qui suivent lÕadoption dÕune loi par le Parlement, 50 000 citoyens signent un texte demandant un vote de lÕensemble du corps lectoral. Huit cantons peuvent galement dclencher un rfrendum facultatif. La loi, ou les arrts et accords assimils des lois, ne peuvent alors entrer en vigueur que si les lecteurs lÕapprouvent. En pareil cas, seule la majorit du peuple est requise. Selon le Dictionnaire historique de la Suisse (article Ē Constitution fdrale Č), cÕest cette possibilit qui marque lÕintroduction dÕune forme de dmocratie semi-directe dans la vie politique suisse. Le 7 mars 2010, les citoyens ont par exemple refus par prs de 73 % des voix et 45 % de participation la modification de la loi fdrale sur la prvoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidit (dit Ē taux de conversion minimal Č), vote en dcembre 2008 par lÕassemble fdrale, prvoyant une baisse des rentes.
Enfin, lÕinitiative populaire, institue en 1891, donne le droit tout lecteur de proposer une modification de la Constitution (ou lÕadjonction dÕune nouvelle disposition). Il doit runir cet effet 100 000 signatures en lÕespace de dix-huit mois. SÕil y parvient – mais il sÕagit videmment dans la plupart des cas dÕun travail collectif –, la proposition est soumise au vote de lÕensemble du corps lectoral et doit recueillir galement la double majorit populaire et cantonale. L'initiative populaire donne le plus souvent lieu un contre-projet, labor par les autorits et soumis au peuple lors de la mme votation. Depuis 1987, il est possible d'accepter l'initiative et son contre-projet (double oui). En cas de double acceptation, une question subsidiaire pose lors de la votation permet de dpartager les projets. Pour tre accepts, l'initiative et le contre-projet demandent la majorit du peuple et des cantons. CÕest une initiative populaire qui est lÕorigine de la votation du 29 novembre 2009, refusant la construction des minarets par 57,5% de oui, et le soutien de vingt-deux cantons avec une participation de 53,4 % du corps lectoral.
Tableau 1. Les formes
de rfrendum
Type
de consultation |
objet |
dclenchement |
majorit |
Rfrendum obligatoire |
Toute
modification de la Constitution |
Automatique,
constitutionnelle |
Double
majorit du peuple et des cantons |
Rfrendum facultatif |
La
contestation dÕune loi |
50 000[8]
signatures, ou 8 cantons, dans les 100 jours de la publication de lÕacte
officiel |
La
majorit du peuple |
LÕinitiative populaire |
Modification
ou cration dÕune disposition constitutionnelle |
100 000
signatures en 18 mois |
Double
majorit du peuple et des cantons |
Contre projet |
Contre-proposition
une initiative populaire |
Lie
une initiative populaire |
Double
majorit du peuple et des cantons |
Les institutions et la pratique des votations varient considrablement selon les cantons et les communes. Au niveau cantonal, le fdralisme suisse repose sur une grande autonomie dÕorganisation politique qui se traduit par vingt-six sous-systmes analogues [Kriesi, 1998]. De faon gnrale, les droits populaires sont beaucoup plus dvelopps dans les cantons almaniques que dans les cantons latins, du point de vue du champ de comptences des votations, gnralement plus large, comme du nombre, le plus souvent plus faible, de signatures exig pour dposer une votation [Baglioni, 2004 ; Kriesi 1998]. Les cantons ne connaissent pas seulement lÕinitiative populaire constitutionnelle, mais aussi lÕinitiative populaire lgislative qui donne la possibilit aux citoyens de proposer lÕadoption dÕune nouvelle loi. Certains cantons ont instaur galement le rfrendum financier – par lequel certaines dpenses publiques doivent tre approuves par les lecteurs – ainsi que le rfrendum lgislatif. Dans ce dernier cas, toutes les lois adoptes par le Parlement cantonal doivent tre soumises au vote des lecteurs.
Le rapport de Sbastien Micotti sur La dmocratie communale en Suisse dresse un panorama dtaill des droits populaires au niveau communal partir de lÕtude des cent dix-huit communes de plus de 10 000 habitants, reprsentant au total 42 % de la population suisse. Il existe deux grands types de communes, celui qui connat le systme dÕassemble communale (de tous les citoyens), dit systme ordinaire, et celui dans lequel les communes sont dotes dÕun Parlement communal, dit systme extraordinaire. Il existe un petit nombre de communes qui ne connaissent ni Parlement communal, ni assemble communale, Ē tout se dcide donc dans les urnes, en principe sur proposition de lÕexcutif communal Č [Micotti, 2003, p. 28]. Dans le systme avec Parlement communal, le Ē rfrendum populaire, [est] conu comme restitution du pouvoir de dcision au corps lectoral dans un systme de dmocratie reprsentative Č [ibid., p. 34], par opposition au rgime de dmocratie directe qui caractrise le systme dÕassemble communale (dit organisation ordinaire) dans lequel les votations apparaissent comme un dispositif de mise en Ļuvre des pouvoirs des concitoyens. Ce fonctionnement communal est antrieur aux mouvements rvolutionnaires de la fin du xviiie sicle. On le trouve dans tous les cantons, lÕexception de ceux de Genve et de Neuchtel. Ē Le rgime de lÕassemble communale reprsente aux yeux de certains la forme la plus pure de dmocratie directe, son expression la plus immdiate. Les citoyens runis en assemble ne se contentent pas de voter, mais prennent part aux dcisions, intervenant dans le dbat, ou soulevant les questions relatives aux domaines de la comptence communale. Č [ibid., p. 25] Sur les cent dix-huit communes tudies par Micotti, trente-six ont conserv le systme dÕassemble communale, mais il sÕagit surtout des plus petites communes.
Enfin, la constitution suisse reconnat galement le droit de ptition. Toute personne Ē capable de discernement Č, majeure, et donc pas seulement les lecteurs – ce qui inclut les trangers – a le droit dÕadresser par crit aux autorits des demandes, des propositions ou des plaintes concernant nÕimporte quelle activit de lÕtat. Les autorits sont tenues dÕen prendre connaissance. LÕobligation de rpondre nÕest pas prvue lgalement, mais dans la pratique, toute ptition est examine et fait lÕobjet dÕune rponse. Les ptitions ont jou un grand rle dans lÕhistoire suisse, notamment dans la premire moiti du xixe sicle. Le dveloppement des rfrendums a diminu son importance, mais la pratique, beaucoup moins contraignante que les procdures rfrendaires, nÕa pas disparu.
2. La procdure rfrendaire
Pour bien comprendre la dynamique des votations, il faut prendre en considration lÕensemble du processus rfrendaire dont le vote ultime est lÕaboutissement. Du dclenchement dÕune votation, la campagne rfrendaire, puis au vote et enfin lÕaprs-vote, toutes les tapes, strictement rglementes, participent du dispositif politique des droits populaires.
Le dclenchement dÕune votation
Une des spcificits fondamentales de la procdure rfrendaire suisse a trait son dclenchement. Les rfrendums sont soit de droit, soit dclenchs par des citoyens. Comme le souligne le Guide de la dmocratie directe, les rfrendums Ē sont initis et contrls non par en haut mais par en bas Č [IRI, 2007, p. 93]. LÕagenda des votations nÕest donc pas matris par la classe politique, ce qui distingue aux yeux des Suisses le rfrendum dÕun plbiscite.
Rfrendum et Plbiscite
Le Guide de la dmocratie directe distingue trois types de consultations des citoyens :
- Les rfrendums obligatoires, inscrits dans les constitutions autrichienne, danoise et italienne et suisse pour des motifs divers.
- Les rfrendums facultatifs, dclenchs lÕinitiative de citoyens, dont relvent deux des votations suisses mais aussi le rfrendum abrogatif italien.
- Le plbiscite des autorits, improprement dnomm rfrendum, dclench lÕinitiative des autorits, comme le rfrendum franais.
Les deux premiers types de rfrendum qui ont pour but de donner du pouvoir aux citoyens appartiennent au rpertoire de la dmocratie directe, la diffrence du rfrendum-plbiscite dont lÕobjectif est de donner du pouvoir aux reprsentants[9].
Les comits dÕinitiative (groupe ad hoc, association, parti) dÕune votation jouent un rle-clef dans les rfrendums facultatifs et les initiatives populaires, tout dÕabord par la rdaction du texte quÕils soumettent la signature des citoyens pour demander une consultation. Si les dispositions lgales sont respectes (titre, contenu des listes signer), lÕinitiative est valide par la Chancellerie fdrale et publie dans la Feuille fdrale, publication officielle de la Confdration, avec les noms des Ē initiants Č. La collecte des signatures peut alors commencer. Les modalits de validation dÕun projet de votation ont vari du point de vue de la dure de la collecte. La loi fdrale de 1976 sur les droits politiques (LDP) a limit dix-huit mois la dure de la rcolte (auparavant libre). Le Parlement avait une anne pour examiner le texte, selon la loi de procdure de 1892. Rgulirement dpass, ce dlai fut d'abord port en 1950 deux ans pour les propositions conues en termes gnraux et trois ans pour les projets rdigs de toutes pices, puis fix trois et quatre ans par la LDP de 1976, enfin vingt-quatre et trente mois par les rvisions de 1996 et 1999. Par lÕinformation et les dbats que suscite la dmarche de collecte des signatures, cette tape est une premire phase importante de la dlibration politique que suscite une votation.
Les mthodes de collecte des signatures se sont assez profondment transformes depuis une vingtaine dÕannes. De la sollicitation directe des citoyens devant les bureaux de vote, on est pass des campagnes postales, puis lectroniques, par tlchargement de feuilles de signatures sur le Net. Les organisations impliques dans les comits dÕinitiatives peuvent dployer des moyens importants pour collecter des signatures, pouvant aller jusquÕau million de francs suisses (700 000 euros) en cas de collecte par courrier postal tous les mnages.
Quand la collecte des signatures est acheve, les listes sont vrifies par les communes, puis remises la Chancellerie fdrale, qui constate formellement l'aboutissement, avant lÕexamen par le Conseil fdral et lÕAssemble fdrale qui vrifient la conformit du texte avec les exigences constitutionnelles, notamment le respect des rgles impratives du droit international. Le site de la Chancellerie fdrale publie les initiatives en suspens et objets soumis au rfrendum facultatif au stade de la collecte des signatures, leur lÕtat dÕavancement et les rsultats. Toutes nÕaboutissent pas et la Chancellerie publie de faon exhaustive la liste des votations nÕayant pas abouti. En avril 2010, outre 7 rfrendums obligatoires prts passer en votation, il y avait 13 initiatives et 11 rfrendums facultatifs au stade de la collecte des signatures. Parmi les initiatives en cours, toutes publies sur le site de la Chancellerie fdrale, on peut, entre autres sujets, citer lÕinitiative Ē pour des salaires quitables Č, dpose par la Jeunesse socialiste suisse, dont la collecte des signatures a commenc le 6 octobre 2010. Le texte soumis signature propose de modifier la Constitution en introduisant un nouvel article 110a, stipulant que Ē Le salaire le plus lev vers par une entreprise ne peut tre plus de douze fois suprieur au salaire le plus bas vers par la mme entreprise. Par salaire, on entend la somme des prestations en espces et en nature (argent et valeur des prestations en nature ou en services) verses en relation avec une activit lucrative. Č La campagne de collecte des signatures sÕachvera le 6 avril 2011.
La campagne rfrendaire
LÕinscription des votations sur le calendrier des votations de la chancellerie ouvre la campagne rfrendaire, temps privilgi dÕinformations et de dbats qui scande de faon trs rgulire la vie politique communale, cantonale et fdrale. Les pouvoirs publics veillent une information quilibre des citoyens. Depuis 1972, tous les lecteurs reoivent un livret rfrendaire qui expose tous les points de vue. DÕabord rdig par le gouvernement, il est depuis 1983 en pratique, et depuis 1994 en droit, rdig en partie par les comits dÕinitiative et rfrendaire. Outre lÕinformation officielle, les campagnes sont alimentes par les comits dÕinitiative, les partis, les syndicats, et des associations puissantes et parfois mieux organises que les partis.
Mme si toute publicit la radio et la tlvision est interdite, les dpenses peuvent aller de plusieurs centaines de milliers dÕeuros des millions dÕeuros pour les votations les plus disputes. Les associations patronales notamment, quand elle estiment que leurs intrts sont en jeu, nÕhsitent pas investir de faon consquente dans les votations. Ē conomiesuisse Č, la principale association fatire du patronat, joue ainsi un rle fondamental dans les campagnes rfrendaires. LÕassociation a pour rle de veiller la dfense des Ē conditions-cadre optimales pour les entreprises suisses Č, notamment le maintien de la libert des entreprises, et revendique Ē un lobbying intense tous les niveaux du processus lgislatif (participation des groupes d'experts, prparation d'actes lgislatifs, procdures de consultation, prises de dcisions par le Conseil fdral et le Parlement, votations populaires). Č[10] Dans la dernire votation de mars 2010, portant sur le financement des retraites, Ē conomiesuisse Č aurait ainsi engag de 8 10 millions de francs suisses (5,6 7 millions dÕeuros). Certes, lÕassociation patronale nÕa pas obtenu satisfaction lors de cette votation, mais une de ses responsables romandes indiquait dans Le Matin du 3 mars 2010 que, depuis 1992, lÕimplication de lÕorganisation patronale aurait initi le rsultat de 67 votations sur 72 depuis 1992[11].
Les modalits du vote
LÕeffervescence rfrendaire ne signifie pas quÕon vote en permanence. Dans la plupart des cas, lorsquÕune votation fdrale a lieu, les cantons et les communes en profitent pour organiser le mme week-end leurs propres votations. Les scrutins sont en fait regroups et organiss quatre fois par an selon un calendrier prvu longtemps lÕavance. Les dates des votations fdrales sont dÕores et dj fixes jusquÕen 2028. Pour 2010, elles ont t ainsi programmes pour le 7 mars, le 13 juin, le 26 septembre et le 28 novembre, mais cela ne signifie pas que toutes les dates seront effectivement utilises. Il nÕy a par exemple pas eu de votation populaire la date prvue, le 12 fvrier 2006. SÕils acceptent un calendrier commun, les 26 cantons et 2614 communes sont souverains en matire d'organisation des scrutins. ĒLe fdralisme produit une mosaque d'entits et, donc, de rglementations Č, explique H.-U. Wili. Seule dmocratie pratiquant lÕassemble physique des citoyens votant main leve, la Suisse est galement le laboratoire du vote par correspondance et mme du vote lectronique.
Le vote main leve. Avec le canton de Glaris, Appenzell Rhodes-Intrieures est le dernier canton connatre lÕinstitution de la Landsgemeinde, Ē assemble solennelle lors de laquelle les citoyens (masculins jusqu' la fin du xxe s.) jouissant du droit de vote lisent les autorits et dbattent des affaires du pays Č[12]. Considre parfois comme lÕexpression la plus aboutie de la dmocratie directe, la Landsgmeinde substitue au vote par les urnes la runion physique de tous les citoyens du canton. Ceux-ci se runissent une fois par an, le dernier dimanche dÕavril (Appenzell Rhodes-Intrieures) ou le premier dimanche de mai (Glaris) sur la place principale du chef-lieu du canton pour lire les plus hautes autorits politiques et judiciaires du canton, et pour dlibrer et lgifrer sur les questions politiques importantes.
Le vote postal. La Suisse se signale galement par lÕimportance du vote postal, admis en Suisse depuis 1994. Ds la fin des annes 1990, prs de la moiti des Suisses ont vot par correspondance. Ainsi Genve, depuis les votations du 13 juin 1999, chaque lecteur a la possibilit, sÕil le souhaite, de voter par correspondance sans avoir en faire la demande, ds la rception de son matriel de vote. LÕeffet est significatif : Genve, le vote postal, pratiqu par 95 % des votants, a entran une hausse de 20 points de la participation (de 30-35 % en 1995 50-55 % en moyenne annuelle ds le dbut des annes 2000). La participation genevoise est dsormais lÕune des plus leves du pays, qui vote plus de 80 % par voie postale.
Le vote lectronique. En 2000, des essais-pilotes de vote lectronique ont t initis Genve, Neuchtel et Zurich. Suite au rapport dÕvaluation publi en 2006[13], le Conseil fdral a engag un processus de modifications lgales et rglementaires de faon permettre une extension du vote lectronique. En 2008, une deuxime tape d'essais largis de vote lectronique a commenc, qui vise ce que 10 % de lÕlectorat puisse en 2011 avoir recours ce type de vote. Ble-Ville et Genve lÕont expriment, en particulier pour les Suisses de lÕtranger. Le 8 fvrier 2009, les lectrices et lecteurs genevois ont approuv par une majorit de 70,2 % lÕinscription du vote par internet dans la constitution cantonale, mettant fin, au plan cantonal, la phase-pilote. Un canton ayant men avec succs cinq essais conscutifs de vote lectronique peut demander une autorisation Ē largie Č au Conseil fdral. De nombreux cantons veulent suivre la mme voie, non sans que cela fasse dbat. Si les autorits fdrales peroivent les possibilits lectroniques comme une nouvelle chance et une nouvelle dimension des Ē droits populaires Č, le vote lectronique suscite de fortes oppositions de tous bords politiques. Selon H.-U. Wili, chef du projet ĒVote lectronique Č la Chancellerie fdrale, la gnralisation dans toute la Suisse et dans tous les domaines des votations et lections via Internet ne sera pas possible avant des dizaines d'annes.
LÕaprs-vote. Le vote ne clt pas la dynamique rfrendaire, puisquÕil faut traduire juridiquement les dcisions populaires. Cette tape est un lment important du processus rfrendaire et pas toujours aise. Ainsi, le 27 septembre 2009, une votation populaire, prenant acte de lÕincapacit de traduire une premire votation dans les textes, a abrog l'initiative populaire gnrale vote en 2003. Le nouvel article introduit dans la constitution devait offrir l'opportunit 100 000 citoyens de rclamer une nouvelle lgislation, et pas seulement une disposition constitutionnelle. L'initiative gnrale a t enterre sans avoir jamais t utilise ; 67,9 % des votants ont accept de supprimer ce droit populaire inscrit en 2003 dans la constitution. Aprs une campagne quasi inexistante, tous les cantons se sont laiss convaincre que l'initiative populaire gnrale serait trop difficile appliquer. Cela dit, mme ngatifs, les rsultats dÕun vote plus ou moins serr exercent leurs effets sur les dcisions des lus, qui peuvent proposer des dispositions lgislatives prenant en compte certaines attentes exprimes dans les votations.
3. La pratique de la dmocratie directe
Ē Chaque semaine, une initiative populaire ou un rfrendum est lanc quelque part en Suisse Č [Kaufmann et alii, p. 88]. Toutes les demandes de votations nÕaboutissent pas, toutes ne suscitent pas les mmes dbats, mais les rfrendums impriment de faon profonde leur marque dans la vie politique helvtique. Les objets, la participation et les rsultats des votations fdrales, auxquelles nous nous limiterons ici, permettent dÕen prendre la mesure.
Les objets des votations
Depuis la rvision totale de la constitution helvtique de 1848, premier rfrendum obligatoire, Ē l'interdiction d'abattre le btail de boucherie sans l'avoir pralablement tourdi Č, premire initiative populaire de 1893, jusquÕ la modification de la loi fdrale sur la prvoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidit du 28 novembre 2010[14], lÕventail des questions soumises rfrendum est vaste. Quel que soit le type de rfrendum, les votations ne portent pas sur des questions de personnes, ni directement ni indirectement. Rappelons que les rfrendums obligatoires comme les initiatives populaires, et les ventuels contre-projets, portent sur la Constitution, les rfrendums facultatifs concernent toute activit lgislative.
Tableau 2. Nombres de votations selon le type de rfrendum[15]
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Priode |
Rfrendums obligatoires |
Rfrendums facultatifs |
Initiatives populaires |
Initiatives populaires avec
contre-projet |
Total |
Total des |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Initiative |
Contre-projet |
|
votations (1) |
1848-1910 |
32 |
30 |
8
|
|
|
70 |
70 |
1911-1930 |
17 |
8
|
14 |
2
|
2
|
43 |
41 |
1931-1950 |
14 |
16 |
12 |
1
|
1
|
44 |
43 |
1951-1970 |
34 |
19 |
14 |
2
|
2
|
71 |
69 |
1971-1990 |
64 |
30 |
43 |
8
|
8
|
153 |
145 |
1991–2000 |
35 |
36 |
33 |
1
|
1
|
106 |
105 |
2001–2010 |
16 |
28 |
34 |
2
|
2 |
82 |
80 |
|
|
|
|
|
|
|
|
1991-2010 |
51 |
64 |
67 |
3 |
3 |
188 |
185 |
1848-2010 |
212 |
167 |
158 |
16 |
16 |
569 |
553 |
(1) Les initiatives populaires avec contre-projet sont comptabilises pour une seule votation
LÕvolution de la rpartition des votations selon les types de rfrendum offre une premire indication sur leurs objets. Le tableau 2 indique que, depuis lÕinstauration des premiers rfrendums obligatoires sur la constitution en 1848, la frquence des votations a fortement augment, mais galement que leur rpartition par type sÕest modifie. Ainsi, aprs avoir comptabilis 70 votations entre 1848 et 1910, les statistiques bidcennales de la Chancellerie fdrale permettent de constater que, de 41 entre 1911-1930, on est pass 185 votations pour les vingt dernires annes. La hausse du nombre de votations sÕest accompagne dÕune modification significative de leur rpartition par type. JusquÕen 1990, les rfrendums obligatoires sont les votations les plus nombreuses. Les rfrendums facultatifs viennent en deuxime jusquÕen 1970, lÕexception de la dcennie 1911-1930, marque par une plus grande vitalit relative des initiatives populaires. Il faut toutefois attendre les annes 1970 pour assister au vritable dveloppement de ces initiatives, qui lÕemportent dÕabord sur les rfrendums facultatifs, pour devenir le type de rfrendum le plus important depuis 1990, devant les rfrendums facultatifs, les rfrendums obligatoires tant dsormais au dernier rang. Alors que les initiatives populaires sont les votations les plus difficiles dclencher puisquÕil faut la signature de 100 000 citoyens, les citoyens russissent de plus en plus initier un tel rfrendum.
Tableau 3. Les objets
des votations populaires fdrales de 1971 2010
Thme 1) |
Priode |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
1971–1980 |
% |
1981–1990 |
% |
1991–2000 |
% |
2001–2010 |
% |
1971-20 |
% |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Rgime politique |
8 |
9,88 |
7 |
10,94 |
21 |
20,00 |
12 |
15 |
48 |
14,55 |
Politique trangre |
3 |
3,70 |
1 |
1,56 |
7 |
6,67 |
7 |
8,75 |
18 |
5,45 |
Politique de scurit |
3 |
3,70 |
4 |
6,25 |
7 |
6,67 |
6 |
7,5 |
20 |
6,06 |
Economie |
15 |
18,52 |
9 |
14,06 |
11 |
10,48 |
2 |
2,5 |
37 |
11,21 |
Finances publiques |
16 |
19,75 |
3 |
4,69 |
9 |
8,57 |
7 |
8,75 |
34 |
10,30 |
Infrastructure, amnagement,
environnement |
16 |
19,75 |
21 |
32,81 |
19 |
18,10 |
14 |
17,5 |
69 |
20,91 |
Politique sociale |
13 |
16,05 |
13 |
20,31 |
28 |
26,67 |
26 |
32,5 |
77 |
23,33 |
Enseignement, culture et mdias |
7 |
8,64 |
6 |
9,38 |
3 |
2,86 |
6 |
7,5 |
21 |
6,36 |
Total votations 2) |
81 |
100,00 |
64 |
100,00 |
105 |
100,00 |
80 |
100,00 |
330 |
100,00 |
1) Le classement des thmes se fonde sur
"Anne politique suisse", dit par l'Institut de science politique
l'Universit de Berne.
2) Les initiatives populaires avec
contre-projet sont comptes comme une seule votation.
Source : Office fdral de la
statistique
Le classement des votations par grandes catgories (tableau 3) met en vidence les thmes qui mobilisent le plus les votations au cours des quarante dernires annes. DÕaprs les statistiques fdrales, sur lÕensemble des 330 votations ayant eu lieu entre 1971 et 2010, les plus nombreuses (23,33 %) ont port sur la politique sociale, plus dÕun cinquime (20,91 %) ont concern les questions dÕinfrastructure, amnagement, environnement, les votations relatives au rgime politique arrivant en troisime avec (14,55 %). On peut noter la faiblesse des votations portant sur les sujets de scurit, de politique trangre ou encore dÕenseignement, culture et mdias.
Si on sÕintresse lÕvolution de sujets, depuis les annes 1970, on observe une augmentation des votes sur le rgime politique au cours des deux dernires dcennies, une baisse considrable des votes sur lÕconomie, qui passent de 18,5 % 2,5 % ; une hausse continue des votes sur la politique sociale (de 16 32,5 %) ; lÕimportance assez stable des votes sur lÕinfrastructure, amnagement, environnement, un niveau assez lev. Les sujets de politique sociale comptent dans la dernire dcennie pour plus de 32,5 % des votations, alors que les sujets conomiques tombent 2,50 %. Le faible pourcentage de votations sur les questions dÕconomie peut sÕexpliquer par une dfinition trs restrictive de la catgorie, par rapport celle intitule Ē politique sociale Č, mais aussi tre le signe dÕun relatif consensus sur lÕorganisation conomiqueÉ Le fort contraste plaide en faveur dÕun effet de construction des catgories. On peut noter, enfin, que lÕinquitude sociale ne sÕaccompagne que dÕune croissance modre des votations sur les questions de scurit (7,5 %).
La participation
Tableau 4. Le taux de
participation aux votations
Annes |
1911-1930 |
1931–1950 |
1951–1970 |
1971–1990 |
1991–2010 |
Taux
de participation Votations |
59,7 |
60,5 |
47,8 |
40,9 |
44,1 |
Taux
de participation Conseil national |
78,08 |
74,78 |
68,31 |
50,53 |
45,02 |
Taux de participation
aux votations : moyenne pour toutes les votations d'une priode de vingt
ans
Source : Office fdral de la
statistique
LÕide que la participation aux votations est faible et infrieure la participation aux lections lgislatives est assez rpandue. Les donnes publies par lÕOffice fdral de la statistique sur la participation aux lections du Conseil national et aux votations depuis 1911 conduisent nuancer assez fortement cette ide. JusquÕen 1990, lÕopinion nÕest pas errone. On vote effectivement plus aux lections du Conseil national quÕaux votations. On constate en outre une baisse de lÕintrt pour les votations, le taux de participation passant de 59,7 % 40,9 %. De 1911 2010, la participation aux votations a baiss du quart, mais celle aux lections lgislatives a recul de plus de 42 % ! Depuis vingt ans, le taux de participation aux lections sÕest rapproch de celui des votations. En fait, depuis les annes 1970, la participation aux votations a augment de plus de 3 points, l o la participation aux lections lgislatives a continu reculer de plus de 5 points. LÕcart entre les deux taux de participation, de prs de 20 points se rduit dsormais 1 point. Si la tendance se poursuivait, la participation aux votations pourrait devenir suprieure celle des lections lgislatives.
LÕaugmentation de la participation est dÕautant plus remarquable quÕelle se produit dans un contexte de frquence accrue des votations. Il y a eu 106 votations entre 1971 et 1990, et 185 votations dans les vingt annes suivantes. LÕexplication de lÕintroduction du vote postal ne peut tre retenue, car elle devrait galement affecter la participation aux lections lgislatives. On est donc loin dÕun essoufflement de la participation citoyenne aux votations, cela serait plutt le contraire.
Les rsultats
Il existe de fortes ingalits dans les taux de russite selon le type de votation. Sur lÕensemble de votations depuis 1848, les trois-quarts des rfrendums obligatoires sont ratifis, contre un peu plus de la moiti des rfrendums facultatifs, et un dixime seulement des initiatives populaires (tableau 5).
Tableau 5. Rsultats
des votations
|
Rfrendums obligatoires |
Rfrendums facultatifs |
Initiatives populaires |
IP avec contre-projet |
Contre-projet |
Total |
||||||
|
Accepts |
Rejets |
Accepts |
Rejets |
Acceptes |
Rejetes |
Accepts |
Rejets |
Accepts |
Rejets |
Accepts |
Rejets |
1971-1990 |
70,3 |
29,7 |
50,0 |
50,0 |
0,0 |
100,0 |
12,5 |
87,5 |
37,5 |
62,5 |
48,4 |
51,6 |
1991-2000 |
80,0 |
20,0 |
69,4 |
30,6 |
6,1 |
93,9 |
0,00 |
100 |
0,00 |
100 |
32,7 |
67,3 |
2001-2010 |
68,75 |
31,25 |
82,14 |
17,86 |
14,71 |
85,29 |
50,00 |
50,00 |
0,00 |
100,00 |
48,8 |
51,2 |
1848-2010 |
74,5 |
25,5 |
55,7 |
44,3 |
9,5 |
90,5 |
18,8 |
81,3 |
37,5 |
62,5 |
48,3 |
51,7 |
Note : Les deux dernires colonnes
Ē initiatives populaires avec contre-projet Č concernent seize
votations sur toute la priode. Les contre-projets sont devenus rares au cours
des deux dernires dcennies (trois cas seulement).
Source :
Office fdral de la statistique
Si, dans lÕensemble, les votations acceptes sont presque aussi nombreuses que celle rejetes par les lecteurs, les rsultats divergent sensiblement selon le type de consultation. Trois fois sur quatre, le peuple suit les dcisions de modification de la constitution votes par lÕassemble fdrale. Il confirme un peu plus de la moiti des lois soumises une votation suite un recours des citoyens, mais se montre en revanche trs rticent adopter les initiatives populaires : moins de 10 % de celles-ci sont approuves par les citoyens. Il semble toutefois se produire depuis le dbut du sicle une volution assez significative. Ainsi, au cours des dix dernires annes, le taux dÕacceptation des rfrendums obligatoires est devenu infrieur 70 %. Le taux dÕacceptation a cependant augment pour les rfrendums facultatifs, mais galement pour les initiatives populaires.
LÕinterprtation nÕest pas aise. La baisse du nombre de rfrendums obligatoires accepts traduit une plus grande distance par rapport aux dcisions de lÕassemble fdrale, mais en revanche le peuple confirme davantage les choix lgislatifs. Cela peut cependant tre aussi le signe dÕune meilleure prise en compte des attentes des citoyens. Mme si le taux dÕacceptation des initiatives populaires reste faible, dpassant peine les 15 %, depuis 2001, le peuple les ratifie cependant galement deux fois plus souvent quÕau cours de la dcennie prcdente. Ces donnes peuvent tre lÕindice dÕune plus grande ouverture du dbat politique, voire dÕun effritement du consensus.
En tout tat de cause, il ne faut pas sÕarrter au rsultat
final dÕun scrutin. Il serait erron de dduire du faible taux de russite des
initiatives populaires que les citoyens chouent le plus souvent influencer
lÕaction politique. Les droits populaires exercent un effet en amont sur les
institutions reprsentatives, conduisant les lus prter attention aux
attentes des citoyens. Mme les votations refuses exercent leurs effets.
LorsquÕune votation est rejete, cela ne signifie pas ncessairement que la
dlibration populaire soit sans effet. Les chambres peuvent de faon indirecte
ou attnue intgrer certains lments en jeu dans une votation dans la
lgislation en rapport avec lÕenjeu du rfrendum. Les droits populaires
exercent une influence directe et indirecte profonde sur la vie politique
suisse.
4. Les vertus des droits populaires
Les droits populaires donnent une forme moderne la pense des sophistes, prsente et discute par Socrate dans le dialogue Ē Protagoras Č de Platon, selon laquelle tous les citoyens sont dots de lÕaret, la vertu, cette disposition intervenir en acte et en parole dans les affaires publiques [Bevort, 2007]. Ils expriment une conception de lÕart politique selon laquelle, contrairement ce que pensait Platon, lÕaret ne relve pas de la connaissance, mais dÕune conception pragmatique de la vertu qui attribue tous les citoyens les qualits dÕaids (la honte) et de dik (justice, rgle), incitant chacun agir pour le bien de la cit. Les procdures rfrendaires reposent sur la confiance dans la comptence dmocratique des citoyens, sur lÕide que la vertu reprsente Ē lÕexcellence propre de lÕhomme, laquelle ne sÕincarne nulle part mieux que dans lÕaction politique Č [Raynaud, Rials, 1996, p. 725]. Elles font galement cho lÕide que la vertu est le principe de la dmocratie, selon les mots de Montesquieu. Les votations mettent en vidence comment les institutions et la pratique des droits populaires se nourrissent lÕun lÕautre, stimulent lÕart politique des citoyens. Elles apparaissant comme autant dÕateliers pratiques de la dmocratie, qui exemplifient la triple vertu dlibrative, rgulatrice et ducative de la participation citoyenne la vie de la cit.
Les vertus dlibratives
Le fait quÕil ne se passe pour ainsi dire pas de semaine sans quÕune initiative populaire ou un rfrendum ne soit initi quelque part en Suisse, un niveau ou un autre, illustre la dynamique dlibrative des droits populaires. Les votations alimentent de faon quasi continue des dbats politiques approfondis sur tous les sujets qui importent dans les affaires de la cit. Si lÕon partage lÕide dÕAmartya Sen, selon laquelle Ē la meilleure dfinition de la dmocratie est celle de gouvernement par la discussion Č [2009, p. 386], cette qualit dlibrative des droits populaires est une vertu essentielle. Elle importe dÕautant plus quÕelle ne se limite pas mettre en scne une dmocratie dÕopinion, mais donne corps un vritable pouvoir dlibratif qui se manifeste travers la matrise de lÕagenda politique, lÕanimation des dbats politiques, et un rel pouvoir de dcision.
Les rfrendums facultatifs et les initiatives populaires donnent aux citoyens un accs privilgi lÕagenda politique, en leur permettant de mettre lÕordre du jour des sujets que la classe politique nÕaurait pas ncessairement mis en dbat. Au niveau fdral, les initiatives populaires imposent ainsi des dlibrations sur les grands dbats de socit (lÕemploi, lÕenvironnement, les retraites, les transports publics, la poste, le temps de travail, lÕassurance maladieÉ ). Aux niveaux cantonal et communal, les dbats sur les Ē grands Č enjeux (les budgets cantonaux) comme sur les Ē petites Č questions de voisinage (la cration dÕune zone de vitesse limite 30 km/h par exemple) ne sont pas moins sujets donner vie une conception du politique comme vivre et agir ensemble, qui ne limite pas le pouvoir citoyen lÕlection des reprsentants.
Les droits populaires reconnaissent aux citoyens un pouvoir de dcision important. Les rfrendums obligatoires et les initiatives populaires donnent aux citoyens le dernier mot en matire constitutionnelle. La possibilit des rfrendums facultatifs sur tout vote lgislatif conduit les lus prter une grande attention lÕopinion publique. Les processus rfrendaires dplacent les enjeux de la vie politique des questions de personnes aux questions politiques, ce qui distingue singulirement la Suisse de la vie politique franaise grandement polarise par lÕenjeu prsidentiel.
Les vertus rgulatrices
Outre le fait dÕimpliquer les citoyens dans le dbat et la dcision politique, les droits populaires exercent un effet de rgulation sur la vie politique suisse. Ils produisent une redistribution du pouvoir politique et contribuent une autre conception du travail politique professionnel.
Le pouvoir politique est trs faiblement concentr dans le systme politique suisse. Avec lÕautonomie cantonale et le bicamrisme, les droits populaires forment systme pour imposer un partage quilibr des pouvoirs politiques entre la fdration et les cantons. Historiquement, les droits populaires se sont dvelopps paralllement la construction du systme confdral. Le rfrendum obligatoire est inscrit en 1848 dans la constitution fdrale fondatrice de la Suisse moderne. Le rfrendum facultatif, instaur lors de la rvision modre de la constitution promulgue le 29 mai 1874, permettant alors 30 000 citoyens ou huit cantons de provoquer une votation pour rejeter une loi ou un arrt fdral, est notamment mis en place pour apaiser les craintes dÕune centralisation opre par voie lgislative. Pour Lehmbruch, la cration du rfrendum facultatif a, Ē dans le long terme induit les coalitions gouvernantes coopter les principaux partis minoritaires dans lÕexcutif fdral, (É) dans lÕespoir de leur faire abandonner le recours aux rfrendums Č [1993, p. 6]. La double majorit cantonale et populaire exige par les rfrendums obligatoires et les initiatives populaires est la fois lÕexpression et la garantie du fdralisme.
Outre lÕeffet en amont sur le mode de fonctionnement de la dmocratie reprsentative, dj soulign, la dynamique potentielle des votations contraint le systme politique la transparence, lÕinformation, lÕcoute. Elle oblige rendre compte des dcisions comme des projets, engager les consultations les plus larges en amont des dcisions parlementaires. Tous ces mcanismes produisent une autre conception du politique, moins centre sur le pouvoir et le savoir. Les droits populaires lvent le statut des citoyens celui de politiciens occasionnels. La dmocratie directe limite la professionnalisation et la personnalisation de la politique. La prsidente ou le prsident de la Confdration change chaque anne, et les dputs sont le plus souvent temps partiels. La dmocratie nÕy est pas le domaine rserv des professionnels. Les droits populaires contrarient les tendances la prolifration bureaucratique de lÕappareil dÕtat et lÕoligarchie et la fermeture sur soi du personnel politique. Loin de creuser la distance entre les professionnels de la politique et les citoyens, les votations rapprochent citoyens et politiciens et imposent une relation plus continue entre les reprsentants lus et les citoyens. La participation aux votations de tous les citoyens tous les niveaux communal, cantonal, fdral cre une forte identit suisse, favorise lÕintgration politique et accrot la lgitimit des dcisions politiques.
Les vertus ducatives
Dans La dmocratie des autres, A. Sen attribue trois avantages la dmocratie pour les citoyens [Sen, 2006, p. 70-71]. Premirement, la participation politique et sociale reprsente une valeur intrinsque pour la vie humaine et son bien-tre. Deuximement, la dmocratie a une valeur instrumentale dans lÕamlioration de la rceptivit lÕexpression et la satisfaction des besoins politiques mais aussi conomiques et sociaux des gens. Troisimement, la pratique de la dmocratie donne lÕopportunit aux gens dÕapprendre les uns des autres, et aide la socit former ses valeurs et ses priorits.
Deux chercheurs suisses, Mathias Benz et Alois Stutzer, confirment cet gard, de faon frappante, le rle constructif de la dmocratie. Selon les thoriciens du public choice, rappellent-ils dans leur article Ē Are Voters Better Informed When They Have a Larger Say in Politics? Evidence for the European Union and Switzerland Č [2004], les citoyens sont rationnellement ignorants en matire politique parce que les cots dÕinformation excdent largement lÕutilit que les individus en retirent. LÕlecteur rationnel sait que son vote a peu dÕeffet sur le rsultat dÕun vote, donc il a Ē intrt Č sÕabstenir. En fait, dmontrent les deux chercheurs, le cot de lÕinformation comme lÕutilit de celle-ci peuvent largement varier en fonction du systme politique. Plus on offre aux citoyens des opportunits de participer la vie politique, mieux ils sont en effet informs. Exploitant une enqute suisse qui permet de mettre en rapport dÕun canton lÕautre les connaissances politiques et lÕtendue des dispositifs de dmocratie directe, les donnes indiquent clairement une corrlation positive entre ces deux variables. Plus on a de possibilits de participer, mieux on est inform, toutes choses gales par ailleurs. LÕeffet sur le niveau dÕinformation li une plus grande possibilit de participation est comparable lÕeffet ducation ou lÕeffet revenu. LÕanalyse dÕune enqute europenne sur les connaissances en matire dÕinstitutions communautaires aboutit au mme rsultat. Dans les pays o les lecteurs ont pu sÕexprimer par rfrendum sur le trait europen, les connaissances sont meilleures, lÕexception toutefois notable de la France.
Faisant la synthse dÕautres travaux ayant tudi la relation entre dmocratie directe et performance conomique, le Guide de la dmocratie directe rend compte dÕun certain nombre de rsultats qui indiquent que le degr dÕextension des droits populaires ne nuit pas la performance conomique des cantons, au contraire. Selon les travaux de deux conomistes de St-Gall, G. Krichgssner et Lars Feld [Kaufmann et alii, p. 83-84], les rsultats seraient assez convergents. Dans les cantons o lÕon participe le plus, la performance conomique en termes de PIB par tte est de 15 % plus leve. L o les citoyens peuvent voter sur le budget cantonal, lÕvasion fiscale est infrieure de 30 %, correspondant un montant moyen de 1500 francs suisses. Les dpenses publiques sont 10 % moins leves dans les communes dont les citoyens peuvent approuver le budget par rfrendum. La dette publique y est moins grande de 25 %. Les services publics cotent moins cher dans les communes connaissant la dmocratie directe. Dans son ouvrage, Socit civile et capital social en Suisse, Simone Baglioni rsume bien le processus ducatif des droits populaires [2004, p. 189] : Ē Comme Pateman lÕavait suggr, lÕintrt et la comptence politiques ne sont pas inns, mais bien plutt models par le systme politique. Un systme participatif incite davantage la comptence et lÕintrt pour la politique quÕun systme de dlgation qui favorise lÕapathie et lÕincomptence Č. La participation fait prendre conscience que les sorts des citoyens sont lis.
Droits populaires et dmocratie consociative
Pour le thoricien du consociatonalisme, Arendt Lijphart, la Suisse, en tant que pays segment dont le fonctionnement dmocratique repose sur le partage du pouvoir et le consensus, constitue un exemple paradigmatique de dmocratie consociative [Lijphart, 1977]. Les dmocraties consociatives reprsentent des Ē formes fortes de dmocraties de consensus Č (Lijphart, 1994, p. 3) qui, avec les dmocraties majoritaires, constituent pour cet auteur les deux principaux types de dmocraties [Lijphart, 1984]. Dans les socits affectes par de profondes divisions linguistiques, religieuses, culturelles, idologiques, la rgulation politique par le simple principe de la majorit ne suffit pas. En maximisant la rgle de la majorit qui emporte la dcision (Ē maximize the size of the ruling majority Č, 1999, p. 33), la dmocratie de consensus produit non seulement une meilleure reprsentation des diffrents segments composant la socit, mais galement un gouvernement plus efficient. Dans Patterns of Democracy [1999], Lijphart retient dix critres pour caractriser une dmocratie de consensus : la grande coalition, lÕquilibre entre les pouvoirs lgislatif et excutif, le multipartisme, la reprsentation proportionnelle, le corporatisme de groupes dÕintrt (un libral corporatisme), le fdralisme, un bicamrisme fort, la rigidit constitutionnelle, le contrle judiciaire des lois et rglementations, lÕindpendance de la banque centrale. En lÕabsence de contrle judiciaire, la Suisse satisfait neuf de ces dix critres.
De faon assez surprenante, les droits populaires ne figurent pas parmi les dix caractristiques nonces par Lijphart dans son analyse de la Suisse comme exemple de dmocratie de consensus. Le rfrendum nÕapparat que comme facteur de rigidit constitutionnelle parce que les amendements la constitution requirent une double majorit cantonale et populaire. La reconnaissance tardive du suffrage fminin est une bonne illustration de la difficult quÕintroduit cette exigence de double majorit. Cette relative inattention aux droits populaires est probablement lie au rle privilgi que Lijphart attribue aux lites dans son modle thorique. Le consensus y apparat comme le fruit dÕune coopration entre les leaders des diffrents Ē segments Č qui composent le pays. Pourtant, les droits populaires sont probablement, avec le fdralisme et la concordance, un des rouages-clefs de la dmocratie consociative suisse. Pour Lijphart, la concordance concerne les lites, mais le possible, voire ncessaire, recours au peuple en cas de dcision importante est une puissante contrainte au compromis. En consacrant les citoyens comme des acteurs part entire dans la vie politique suisse, les votations imposent aux lites un fonctionnement qui ne peut se rduire aux accords entre les lites. La dmocratie suisse apparat autant comme le fruit des dcisions des lites que comme le choix des citoyens. A. Trechsel et P. Sciarini [2003], partir de lÕanalyse des votations depuis 1947, concluent que les droits populaires ne mettent pas en cause la lgitimit des dirigeants politiques. De mme, S. Baglioni souligne, dans son ouvrage Socit civile et capital social en Suisse, que Ē les citoyens suisses montrent en effet un niveau de confiance institutionnelle plus lev que la moyenne releve dans les pays de lÕEurope de lÕEst et de lÕOuest Č [Baglioni, 2004, p. 195].
Si la dmocratie de consensus bnficie de la confiance politique des citoyens, cÕest peut-tre parce que les institutions politiques leur donnent un droit de contrle important sur la vie politique. CÕest parce que les droits populaires sont potentiellement autant facteurs de dissensus que de consensus quÕils imposent un fonctionnement poussant tous les acteurs construire des compromis qui reposent sur lÕaccord le plus large. Les votations nÕliminent donc pas les conflits, lÕexpression des dissensus, ils en sont au contraire un outil dÕexpression, mais aussi un mode de dpassement. Ils agissent de fait comme un facteur de lgitimit et de stabilit du systme politique.
Ce faisant, les droits populaires, en donnant aux citoyens les outils dÕune citoyennet active introduisent un lment dÕincertitude qui peut affecter la logique mme du systme de dmocratie semi-directe. LÕaugmentation des rfrendums et les clivages socitaux quÕils mettent en lumire traduisent une polarisation croissante de la vie politique suisse. LÕmergence de lÕUDC et certaines votations comme celle sur lÕinterdiction des minarets en sont les signes indniables. On peut galement observer que les votations les plus importantes donnent lieu un vritable marketing politique, dont les dpenses de plus en plus leves engages dans les campagnes rfrendaires sont lÕindice. La logique du rgime est-elle pour autant en cause ? Chacun est tent dÕvaluer lÕaune de ses propres opinions politiques ou acadmiques les mfaits-bienfaits de la dmocratie directe. Les uns liront lÕvolution en cours comme la manifestation des excs de dmocratie, ou comme une drive populiste, la dmonstration de lÕimmaturit des citoyens. DÕautres font confiance aux vertus des droits populaires pour trouver des solutions aux tensions qui se manifestent. Quelle que soit lÕapprciation que lÕon porte, la croissance de votations, les dnis apports aux lites, que cela soit sur les minarets ou lÕassurance-chmage, montrent que le peuple suisse sÕaffirme comme un acteur autonome par rapport aux organisations reprsentatives et leurs leaders, confirmant que la dmocratie de consensus ne signifie pas lÕabsence de conflits. Le cot croissant des votations reprsente de toute vidence un facteur dÕingalit amenant certains observateurs estimer que cela fait de la dmocratie politique suisse un modle coteux, accessible seulement aux nantis et aux acteurs organiss. Outre que cela vaut probablement plus encore pour les campagnes lectorales, les moyens financiers ne sont pas toujours gagnants. On peut mme penser que, plus que pour les lections, les votations accroissent le pouvoir citoyen et attnuent les ingalits de fortune et dÕducation.
Les interrogations sur lÕavenir de la dmocratie consociative ne sont pas nouvelles. Au dbut des annes 1990, G. Lehmbruch se demandait si lÕeffritement de la cohsion des segments minoritaires, notamment catholiques et socialistes, et la monte de lÕindividualisme nÕrodaient pas les traditions consociatives suisses. Il concluait cependant que la persistance des clivages linguistiques et culturels, lÕarchitecture institutionnelle et la socialisation politique des lites lui semblaient assurer au systme politique suffisamment de flexibilit pour tre Ē capable de survivre lÕrosion des rseaux organisationnels traditionnels Č [Lehmbruch, 1993, p. 59]. Prs de vingt ans plus tard, lÕinterrogation demeure, mais elle est peut-tre propre tout systme dmocratique, dont les ressorts sont autant de mises en tension permanente. La Suisse est probablement un des rares exemples de dmocratie rflexive au sens de P. Rosanvallon, cÕest--dire comme un systme disposant de Ē mcanismes correcteurs et compensateurs Č des limites de la dmocratie lectorale-reprsentative, [2008, p. 195-196]. Sans le citer, les analyses de Rosanvallon, notamment quand il parle dÕune forme dÕ Ē encadrement du systme majoritaire Č, rejoignent celles de Lijphart. Plus encore que le politologue nerlandais, Rosanvallon ne prend toutefois gure en compte les droits populaires comme une forme de dpassement de la rgle majoritaire, privilgiant comme mcanisme correcteur le contrle de constitutionnalit ou les formes de contre-dmocratie, sans envisager le modle de dmocratie de consensus suisse. CÕest pourtant dans les droits populaires que rsident peut-tre les ressources les plus efficaces permettant la dmocratie de consensus de rsoudre les tensions quÕelle affronte.
Pour autant, les droits populaires nÕliment pas ce que B. Voutat [Bacqu et alii, 2005] nomme lÕambivalence de la dmocratie et de la souverainet populaire parce que cette ambivalence est pour ainsi dire lÕessence mme du pari dmocratique. La dmocratie directe ne repose pas sur lÕillusion que les citoyens garantissent la Ē bonne dcision Č, mais elle postule que les citoyens sont in fine plus aptes que les rois-philosophes, les avant-gardes ou les professionnels dcider des affaires de la cit. La dmocratie nÕest pas un sport de spectateurs, ni une affaire de professionnels, mais une activit citoyenne. Les votations offrent dans les limites bien particulires propres la Suisse une rare exprience assez pousse de la conception de la dmocratie comme pouvoir du peuple pour le peuple par le peupleÉ Dans le dbat engag sur la crise quÕaffrontent les institutions reprsentatives, lÕexprience suisse offre, toutes choses gales par ailleurs, matire rflchir pour les dmocraties reprsentatives la recherche dÕune nouvelle lgitimit.
Rfrences bibliographiques
Bacqu M.-H., Rey H., Sintomer Y., 2005, Gestion de proximit et dmocratie participative, une perspective comparative, La Dcouverte, Paris.
Baglioni S., 2004, Socit civile et capital social en Suisse, LÕHarmattan, Paris.
Beaudoin J.,
1998, Introduction la sociologie
politique, Seuil, Ē Points Č, Paris.
Benz
M., Stutzer A., 2004, Ē Are Voters Better Informed When They
Have a Larger Say in Politics? Evidence for the European Union and
Switzerland Č, Public Choice,
119 (1-2), p. 31-59.
Bvort A., 2007, Ē Le paradigme de Protagoras Č, Socio-logoS, n” 3, avril.
Blondiaux L., 2008, Le nouvel esprit de la dmocratie, Actualit de la dmocratie participative, Seuil, Ē La rpublique des ides Č, Paris.
Chagnollaud D., 1993, Dictionnaire de la vie politique et sociale, Hatier, Paris.
Dictionnaire historique de la Suisse/DHS, 2002-2009, ditions Gilles Attinger, Berne, [en ligne] <http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F10095.php>.
Hansen M. H., 1993, La dmocratie athnienne. Ė lÕpoque de Dmosthne, Les belles lettres, Paris.
Kaufmann B., Bchi R., Braun N., 2007, Guide de la dmocratie directe en Suisse et au-del, IRI.
Kriesi H., 1998, Le systme politique suisse, conomica, Paris.
Lehmbruch G., 1993, Ē Consociatonal
Democracy and Corporatism in Switzerland Č, Publius : The Journal of Federalism, 23 (2), p. 43-60.
Lijphart A., 1999, Patterns of Democracy, Government
Forms and Performance in Thirty-Six countries, New Haven and London, Yale
University Press.
— 1994,
Ē Democracies :
Forms, performance, and constitutional engineering Č, European Journal of Political Research, 25, p. 1-17.
— 1984,
Democracies : patterns of majoritarian and consensus government in twenty-one
countries, Yale University Press, New haven.
— 1977,
Democracy in Plural Societies: A
Comparative Exploration, Yale University Press, New Haven.
Micotti S., 2003, in Auer A. (dir), La dmocratie communale en Suisse, vue gnrale, institutions et expriences dans les villes, 1990-2000, Rapport de Recherche au FNS.
Platon, 1993, Protagoras, traduction de Trde M. et Demont P., Le livre de poche, Paris.
Raynaud P., Rials S., 1996, Ē Vertu Č, in Dictionnaire de philosophie politique, PUF, Paris.
Rosanvallon P., 2008, La Lgitimit dmocratique. Impartialit, rflexivit, proximit, Seuil, Paris.
Sen A., 2009, LÕide de justice, Flammarion, Paris.
— 2006, La dmocratie des autres, Rivage, Ē Poche Č, Paris.
Trechsel A. H., Sciarini P., 2003, Ē Direct democracy in Switzerland: Do elites matter ? Č, European Journal of Political Research, vol. 41, Issue 6, janvier, p. 759-776.
[1] Notre analyse prend son origine dans un voyage dÕtudes en Suisse organis par IRI (lÕInstitut europen sur lÕinitiative et le rfrendum) qui a eu lieu fin septembre 2005. Nous y avons bnfici dÕun certain nombre de prsentations et de rencontres avec des acteurs et des chercheurs. Outre les informations runies lors de ce voyage, notamment dans une rencontre avec Hans-Urs Wili, chef de la section des droits politiques la Chancellerie fdrale, et les donnes et analyses runies dans le Guide de la dmocratie directe en Suisse et au-del, par Bruno Kaufmann, Rolf Bchi, Nadja Braun, dit par lÕIRI [2005 pour la premire dition en langue franaise, 2007 pour lÕdition franaise], nos analyses sont redevables lÕouvrage de rfrence de Hanspeter Kriesi, Le systme politique suisse [1998], ainsi quÕau Dictionnaire historique de la Suisse, (DHS), Editions Gilles Attinger Berne, 2002-2009, disponible [en ligne] : <http://www.hls-dhs-dss.ch/index.php?lg=f&pagename=project&pagenum=4>.
[2] Article Ē Dmocratie de concordance Č du Dictionnaire historique de la Suisse [2002-2009], [en ligne] <http://www.hls-dhs-dss.ch/textes/f/F10095.php>.
[3] Ces principes ne vont pas de soi. Ouvrant
la sance du Conseil fdral le 20 octobre 2004, le Prsident de la
Confdration, Monsieur Joseph Deiss, a demand ses
collgues de mettre fin des semaines de discussions portant sur la collgialit,
la concordance et les tches du Conseil fdral. Il a soulign que le mandat du
Conseil fdral est inscrit dans la Constitution. Celle-ci prcise que le
Conseil fdral prend ses dcisions en autorit collgiale, ce qui signifie que
chacun des membres du gouvernement du pays doit respecter, dfendre et
appliquer les dcisions du collge. Aux yeux du Prsident de la Confdration,
le bon fonctionnement d'un gouvernement collgial repose sur le consensus. Pour
parvenir ce consensus, le Prsident attend de ses collgues qu'ils dbattent
de leurs divergences au sein du collge et non pas avec des dclarations
publiques. (source, site de la
Confdration suisse, [en ligne]
<http://www.news.admin.ch/message/index.html?lang=it&msg-id=19741>)
[4] Depuis les lections du Conseil national du 21 octobre 2007, lÕUnion dmocratique du centre compte 62 reprsentants (cinq UDC ont form le Parti bourgeois dmocratique en mars 2009) ; le Parti socialiste suisse, 43 ; le Parti radical dmocratique, 35 ; le Parti dmocrate chrtien, 31. Les autres mouvements politiques ont 29 reprsentants dont 20 pour Les Verts.
[5] Devenu le Parti libral-radical au 1er janvier 2009.
[6] Traditionnellement, un conseiller fdral est rlu jusqu' sa dmission et les cas de non rlections sont extrmement rares. Ils ont cependant particulirement touch lÕUDC, dÕabord en dcembre 2003, quand sa reprsentante, Ruth Metzler-Arnold nÕa pas rlue et fut remplace par Christoph Blocher, qui son tour nÕa pas rlu en dcembre 2007 et fut son tour remplac par un autre membre de lÕUDC, Evelin Wildmer-Schlumpf. LÕ exclusion de cette dernire de lÕUDC est lÕorigine de la cration du parti bourgeois dmocratique.
[7] Article Ē Droits populaires Č du Dictionnaire historique de la Suisse.
[8]
En 2010, le corps lectoral suisse est trs lgrement suprieur
5 000 000 personnes. Il faut donc 1 ou 2 % des lecteurs pour
initier un rfrendum facultatif ou une initiative populaire, l o, en France,
la loi dÕorientation pour lÕamnagement et le dveloppement du territoire du 4
fvrier 1995 exige un seuil de 20 % des lecteurs pour saisir le conseil
municipal en vue de lÕorganisation dÕune consultation sur une opration
dÕamnagement.
[9] En France,
la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 a largi le domaine rfrendaire en
instituant la possibilit de soumettre un projet aux citoyens dÕune
collectivit territoriale sous forme dÕun rfrendum dcisionnel. Cette
dispositions est toutefois dans la logique du rfrendum des articles 11 et 89
de la Constitution de 1958 : seul lÕexcutif municipal peut proposer la
soumission dÕun projet au rfrendum. La validation suppose que la moiti des
lecteurs inscrits ait pris part au vote.
[10] Citations extraites de la prsentation de lÕassociation conomiesuisse sur son site web.
[11] Le Matin, 3 mars 2010.
[12] Article Ē Landsgemeinde Č du Dictionnaire historique de la Suisse.
[13] Rapport sur les projets pilotes en matire de vote lectronique, Conseil fdral, Berne, 31 mai 2006.
[14] Dernire date des votations prises en comptes dans cet article.
[15] Source de toutes les donnes : lÕencyclopdie statistique de la Suisse, publi par lÕOffice fdral de la statistique, lÕadministration fdrale. Pour ce tableau, toutes les donnes sont mises [en ligne] : <http://www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/17/22/lexi.html>.